Autonomie souhaitée et perçue par les cadres scolaires en Suisse romande

Une étude quantitative montre que nombreux sont les cadres scolaires en Suisse romande qui souhaitent davantage d’autonomie dans la gestion de leur établissement.

Le système éducatif suisse devrait-il répondre favorablement à ce souhait ? Il faudrait alors d’une part rendre cette autonomie accrue légitime, d’autre part franchir les obstacles institutionnels qui font des administrations centrales les détentrices d’un large pouvoir gestionnaire et décisionnel sur des aspects estimés trop importants pour être déléguées aux établissements.

Nils Soguel, Jean-Marc Huguenin et Cécile Ecabert, rendent compte des résultats d’une étude portant sur l’autonomie perçue par les cadres scolaires romands, qui indiquent que tous les dirigeants souhaiteraient davantage d’autonomie [1]. La légitimation et les modalités d’implémentation d’une telle augmentation d’autonomie restent à définir et à négocier.

Trois dimensions de l’autonomie

Une distinction conceptuelle utile permet de dégager trois grands types d’autonomie, que les auteurs distinguent pour les besoins de l’enquête :

  1. L’autonomie prescrite ou statutaire est définie par le cadre légal
  2. L’autonomie perçue correspond à l’autonomie dont les cadres scolaires affirment disposer
  3. L’autonomie souhaitée correspond à l’autonomie dont les cadres souhaiteraient disposer.

Divers travaux sur l’autonomie montrent qu’il y a bel et bien, comme on pouvait s’en douter, des écarts entre ces différents niveaux d’autonomie. L’écart entre autonomie prescrite et l’autonomie perçue est le plus étudié : il est désormais bien établi qu’une norme imposée à une organisation ne coïncide pas nécessairement avec l’action contextualisée et située de cette organisation. Cependant, l’écart entre autonomie perçue et autonomie souhaitée est moins étudié, et fait l’objet de l’enquête des auteurs.

L’écart entre autonomie perçue et autonomie souhaitée en Suisse romande

Des questionnaires furent adressés à 405 cadres en formation depuis 2008 en Suisse romande, dont 219 furent retournés. Cette enquête se base donc sur une quantité impressionnante de données, à partir desquelles les auteurs tirent diverses conclusions ou hypothèses, mais dont on retiendra ici on le constat le plus frappant : quasiment tous les cadres interrogés ont affirmé avoir envie de disposer de plus d’autonomie qu’ils n’en disposaient effectivement.

Quel que soit le domaine de gestion (que les auteurs divisent en 6 grandes orientations : gestion pédagogique, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, communication et marketing, gestion des infrastructures, gestion globale), le constat général est que dans tous les cantons romands, tous les degrés et toutes les fonctions, les cadres qui ont répondu au questionnaire souhaitent plus d’autonomie que celle qu’ils perçoivent.

Au plan des résultats plus fins, citons-en deux qui méritent d’être relevés. Premièrement, l’adéquation entre autonomie perçue et souhaitée s’améliore lorsque le degré scolaire augmente : on peut supposer ici que les degrés scolaires initiaux (école primaire) reçoivent de manière générale des directives plus strictes de la part des administrations cantonales. Deuxièmement, l’autonomie perçue la plus élevée a été observée par les adjoints de direction : les auteurs soulèvent ici l’hypothèse du caractère individualisé du cahier des charges lié à cette fonction, dont le périmètre est clairement défini et moins touché par l’évolution des systèmes éducatifs.

Donner plus d’autonomie aux établissements ? les avantages supposés

Faut-il donner plus d’autonomie aux directions des établissements scolaires ? Cette question ne peut certainement pas être tranchée de manière globale, sans tenir compte de données contextuelles plus fines. On peut cependant avancer que la part d’autonomie d’un établissement est légitimée si elle permet de favoriser la performance scolaire. Or l’impact de l’autonomie sur la performance scolaire est nuancé dans la littérature. Les auteurs citent néanmoins deux aspects qui semblent recevoir une certaine confirmation empirique sur le plan international.

Primo, l’autonomie en matière de recrutement des enseignants aurait un impact positif sur les performances des élèves ; ce serait tout particulièrement le cas lorsqu’elle est associée à un système où les élèves sont soumis à des examens standardisés. L’autonomie des moyens liée à une redevabilité en termes de résultats à des évaluations imposées de l’extérieur aurait une incidence positive sur la performance scolaire.

Deuzio, certaines études se basant sur les données PISA montrent que les élèves réussissent mieux dans les établissements qui disposent d’autonomie dans le choix des manuels scolaires et du matériel didactique, et dans l’allocation interne du budget.

 

Quel modèle d’autonomie pour l’avenir des établissements suisse-romands ?

Que l’on se penche, même avec circonspection, sur les avantages avancés par les études empiriques, ou que l’on se fie aux souhaits des cadres, ne faut-il pas conclure qu’il faut donner plus d’autonomie aux établissements scolaires ? Répondre par l’affirmative butera sur un obstacle de taille : les administrations centrales rechignent souvent à accorder une trop grande autonomie aux établissements, car elles considèrent parfois que les directions de ces établissements ne disposent pas des compétences nécessaires à la conduite et au pilotage de certains aspects considérés comme fondamentaux.

Néanmoins, une autre étude a montré dans les écoles suisses une corrélation entre l’autonomie des établissements et le recours par ceux-ci à des indicateurs de gestion précis. Si l’étude ne permet pas de déterminer la direction du lien de causalité, il est probable qu’un établissement capable par lui-même de fixer, tester et réguler ses indicateurs de gestion, crée par là des conditions favorables à une délégation d’autonomie plus importante de la part des administrations centrales.

DANIEL LOUREIRO

[1] Dutercq Y., Gather Thurler M., Pelletier Guy (dir.) (2015). Le leadership éducatif. Louvain-la-Neuve, De Boeck.