Le modèle finlandais de gouvernance de la profession enseignante

Tout le monde sait aujourd’hui que la Finlande produit d’excellents résultats chez ses élèves, avec notamment une remarquable homogénéité au regard des classes sociales. Comment expliquer ce fait ? Il n’y a sans doute pas une explication unique, et des paramètres socio-économiques et culturels y jouent certainement leur part ; il reste cependant probable que la politique de gouvernance éducative finlandaise tienne un rôle prépondérant.

Walo Hutmacher, dans un chapitre de l’ouvrage collectif «Enseigner, un métier sous contrôle» (Maulini, O., & Thurler, M. G., 2014, ESF éditeur), donne quelques grandes lignes du mode de régulation et de gouvernance du système éducatif finlandais depuis les années 1960.

Une scolarité obligatoire sans sélection

C’est la caractéristique la plus connue du système finlandais. Depuis une trentaine d’années, les jeunes finlandais suivent une scolarité obligatoire d’une durée de 9 années, sans sélection et presque sans redoublement. Non seulement l’égalité et l’équité font explicitement partie des visées politiques du système éducatif, mais les établissements scolaires sont explicitement désignés responsables du bien-être des élèves au sein des établissements.

Bien sûr, tous les élèves ne rencontrent pas les mêmes difficultés d’apprentissage au même moment ; mais les enseignants y réagissent par la mise en place de solutions rapides et différenciées, refusant tout processus de stigmatisation. L’évaluation est perçue essentiellement, voire exclusivement comme formative et, fait notable, il n’y pas d’examens à l’échelon régional ou national : les établissements sont totalement autonomes quant à l’évaluation, y compris les examens de fin de scolarité !

Une déconcentration des compétences décisionnelles

A la fin des années 1960, la Finlande a en effet pris un tournant, en passant d’un système éducatif très centralisé à une décentralisation quasi-totale. Le contrôle étatique s’est progressivement assoupli pendant les décennies qui suivirent, jusqu’à l’abolition de l’inspection des classes et des écoles.

Aujourd’hui, la loi finlandaise accorde aux autorités locales le rôle d’education providers, qui organisent les services éducatifs seules ou en coopération avec d’autres institutions de leur choix, parfois même avec des prestataires privés. Ainsi, les enseignants se sentent au service d’une autorité de proximité, qui a un visage et représente les citoyens locaux, ce qui favorise la loyauté du corps professoral vis-à-vis de la communauté et, a fortiori, des élèves.

Un pilotage orienté par des objectifs d’apprentissage

En comparaison avec d’autres pays, la Finlande a très tôt su récupérer et assimiler les recherches en sciences de l’éducation, notamment les études anglo-saxonnes axées sur l’efficacité et le développement des écoles.

Ces études suggèrent notamment que le pilotage par les plans d’étude a une efficacité limitée, parce que les enseignants ne se les approprient jamais vraiment, et que ce sont davantage les moyens d’enseignement qui pilotent leur activité. Ainsi, plutôt que d’un pilotage par les outputs (à l’instar du pilotage par plan d’études), a été instauré un pilotage par les inputs (modalités d’enseignement) dans lequel les enseignants n’ont pas la nécessité de s’approprier des finalités édictées de l’extérieur.

En Finlande, on admet ainsi avec pragmatisme que les plans d’études sont de toute façon adaptés aux contextes et pratiques locaux. Pour illustrer ce virage, l’auteur relate le fait qu’en 1994, le plan d’études national de 650 pages fut remplacé par un plan d’études noyau de… 110 pages. Ce dernier, plutôt que d’imposer des contenus spécifiques comme finalités d’apprentissage, se contente de prescrire les grands principes et objectifs principaux des diverses matières. A chaque établissement ensuite de déterminer de manière plus fine les contenus scolaires !

Un ancrage universitaire de l’identité professionnelle

A l’image de la plupart des pays, la Finlande avait d’abord débuté par une formation initiale du personnel enseignant aux mains de l’Etat. Depuis 1971 toutefois, s’est opérée la transition vers une formation prodiguée par les universités, avec des exigences qui ont progressivement augmenté.

Une spécificité remarquable est l’exigence d’une solide formation dans les sciences de l’éducation : aujourd’hui les enseignants finlandais, en plus de leur titre universitaire dans leur discipline d’enseignement, doivent également être titulaires d’une maîtrise en sciences de l’éducation. Cette formation a notamment pour but de favoriser la pratique réflexive et la capacité d’autoévaluation, tout en imposant l’idée que faire apprendre des groupes hétérogènes d’élèves nécessite une expertise de haut niveau.

Et alors que les salaires se situent dans la moyenne des autres pays, cela n’empêche pas une forte compétition à l’entrée, avec seulement 10 à 15% des candidats retenus : un indice sociologique probant quant à la valorisation et l’attractivité de la profession enseignante.

Une culture de la réflexivité à tout niveau

Une composante qui reste centralisée est l’évaluation par l’Agence nationale de l’éducation des compétences des élèves, par le biais de tests passés dans un échantillon d’écoles. Les résultats sont mobilisés afin de pousser à la pratique réflexive et comparative, dans le but d’une amélioration constante des dispositifs d’apprentissage. Il s’agit d’une part de mesurer les progrès, d’autre part de définir les objectifs pour les années suivantes. En outre, la formation de réseaux d’établissements ou d’enseignants est encouragée, et les directions d’établissements scolaires invitent volontiers les enseignants à tester de nouvelles approches provenant d’autres établissements.

Une haute autorité de l’éducation, distincte du pouvoir politico-administratif

Dans la plupart des états, les logiques politico-administrative et professionnelle-pédagogique se confondent, avec une prédominance du pouvoir décisionnel pour la première, au détriment de la seconde. La profession enseignante manque ainsi dune propre structure d’autorité.

Tel n’est pas le cas en Finlande, où ces deux composantes sont beaucoup plus indépendantes. L’agence nationale de l’éducation est distincte du Ministère de l’éducation, et jouit de par son statut d’expertise d’une grande autonomie et d’un vrai pouvoir d’influence. La voix de cette structure nationale est assez puissante pour défendre la logique professionnelle-pédagogique auprès des autorités nationales et locales, tout en étant reconnue par les directions d’établissements scolaires et les enseignants, pour lesquels elle renforce le statut professionnel.

Peut-on copier le modèle finlandais ?

L’auteur rappelle que l’école finlandaise n’est pas sans son lot de difficultés, notamment du fait que la décentralisation extrême peut rendre difficile, à rebours, l’élaboration d’un consensus autour des principaux buts éducatifs. Les grands traits esquissés permettent néanmoins de croire que les composantes du système éducatif finlandais ne sont peut-être pas étrangères aux excellents résultats lors des tests internationaux.

Par ailleurs, une des spécificités finlandaises est justement de favoriser l’autonomie au regard du contexte local, ce qui veut dire, en toute logique, qu’une tentative de singer de façon monolithique le système finlandais dans un autre pays serait justement faire fi des spécificités locales. Le lecteur aura d’ailleurs, selon son origine ou son lieu de pratique professionnelle, certainement repéré parmi les différences majeures entre la Finlande et son pays, celles pour lesquelles une transposition pure et simple ne serait pas envisageable à court terme. Cela n’empêchera pas que lorgner du côté de la Finlande invitera forcément à la réflexivité professionnelle : une posture largement promue par le système finlandais.

DANIEL LOUREIRO