Les Communautés d’Apprentissage Professionnelles

Dans le monde de l’éducation, la reddition de comptes et l’amélioration de la gouvernance scolaire sont des préoccupations plutôt récentes. La société attend de l’école qu’elle puisse montrer son efficacité, données mesurables à l’appui. Ces résultats sont censés donner un point de situation pour les décideurs politiques et les institutions en tout genre. Le paradigme des « Communautés d’Apprentissage Professionnelles » est une tentative de réponse à ces exigences.

Un des écueils du culte de la récolte de donnés pour elle-même, est de perdre de vue l’apprentissage des élèves. Roger Prud’homme et Martine Leclerc exposent dans leur ouvrage de 2014, exposent les grandes lignes du paradigme des Communautés d’Apprentissage Professionnelle (CAP). Les CAP sont une approche qui vise à intégrer, au sein des établissements et par les enseignants eux-mêmes, la production de données mesurables en vue d’améliorer l’apprentissage des élèves.

Vers une culture des données

Selon les auteurs, pour qu’une école puisse faire face aux nouveaux défis de l’éducation et notamment vis-à-vis des élèves en difficulté, elle doit être capable de récolter et d’analyser elle-même ses données d’apprentissage. En effet, ces données primaires sont celles sur lesquelles les enseignants ont le plus de contrôle et, par conséquence, celles sur lesquelles ils peuvent avoir le plus d’influence dans leur propre enseignement.

Puisqu’il est impossible de tout mesurer, le choix des données à collecter est crucial. C’est ainsi à la charge de l’établissement de définir au préalable les apprentissages essentiels sur lesquels il faut travailler en priorité. L’ouvrage des auteurs est illustré par exemple avec la compétence en lecture des élèves du primaire : il s’agit ici d’une compétence-clé et transversale. Un apprentissage essentiel est celui qui est nécessaire pour l’acquisition d’un apprentissage ultérieur.

Une fois les apprentissages essentiels définis, il s’agira d’établir un cadre d’observation pour la récolte des données et de fixer les indicateurs de réussite. Les enseignants, de par leur expérience et leur expertise, sont naturellement bien placés pour établir ce cadre. Toutefois, en équipe de collaboration, il faudra aboutir à une harmonisation rigoureuse des outils d’observation communs. Enfin, il est nécessaire de disposer d’un logiciel informatique qui puisse favoriser l’agrégation, la désagrégation et la manipulation des données d’apprentissage, tout en permettant une visualisation ergonomique et flexible.

Une utilisation des données en vue de l’apprentissage des élèves

Après une première collecte de données, l’équipe d’enseignants doit se réunir le plus rapidement possible afin de faire un premier feed-back. Lors des premières réunions, il est important que les difficultés rencontrées et les enjeux soulevés soient discutés de manière ouverte et franche : c’est ainsi que se dessinera à la fois une image commune des objectifs pédagogiques, et une meilleure calibration des outils d’observation. Les effets de la première observation sont généralement immédiats : le questionnement se porte naturellement sur les objectifs centrés moins sur l’enseignement que sur l’apprentissage des élèves.

Par ailleurs, la manipulation des données permet l’établissement de différents profils, qui ont toute leur utilité pour l’amélioration de l’apprentissage. Les profils individuels, par exemple, permettent de mieux cerner les élèves en difficulté et ainsi de mieux calibrer la différenciation pédagogique. Les profils de classe amènent les enseignants à être mieux préparés et proactifs et permettent également de constater les hausses (ou baisses) de rendement d’un groupe-classe. Enfin, l’établissement de profils par années d’études incite à comparer les données sur plusieurs années scolaires et offre aux enseignants ainsi qu’aux directions de précieux éléments quant au rendement général de l’établissement sur le long terme vis-à-vis de l’acquisition et la consolidation des apprentissages essentiels ; la direction dispose d’une cartographie précise pour une allocation fine des ressources et des énergies.

 

Le rôle crucial joué par la direction d’école pour rendre les rencontres efficaces

Instaurer une CAP dans établissement est loin d’être une gageure. La direction qui souhaiterait instituer une CAP doit procéder habilement, surtout dans les contextes où les enseignants restent attachés à la tradition de l’ « autonomie professionnelle » qui veut que les enseignants opèrent individuellement et indépendamment ; d’où la nécessité, dans un premier temps, d’un leadership pédagogique fort : lors des premières rencontres de l’équipe de collaboration, la direction devrait être présente et orienter les discussions.

C’est également à la direction qu’il incombe de planifier rigoureusement le calendrier des rencontres, et de rappeler à l’occasion l’esprit qui doit guider une CAP, à savoir : quels sont les apprentissages essentiels ? Comment vérifier l’acquisition de ces apprentissages ? Que faire des élèves qui ne les ont pas acquis ? Que faire des élèves qui les acquièrent rapidement ?

Il incombera également à la direction d’offrir un temps de qualité aux enseignants pour les rencontres des équipes, et de les convaincre que le temps investi n’est pas du temps perdu, mais au contraire permet de gagner du temps plus tard, grâce à la mise en place de stratégies d’apprentissage à haut rendement et de l’amélioration globale des savoirs et compétences des élèves qui s’ensuit.

Les CAP : une solution-miracle ?

Certes, le modèle de la CAP tel qu’il est exposé dans cet ouvrage semble à mes yeux conserver encore quelques points problématiques, comme la dépendance à l’outil informatique qui refroidira sûrement certains, et, surtout, la possibilité de définir des données mesurables. Dans leur ouvrage, les auteurs illustrent la CAP par l’acquisition première de la lecture avec reconnaissance des lettres de l’alphabet. C’est un domaine qui est facilement quantifiable. Mais pourra-t-on vraiment un jour par exemple collecter des données pour le programme de philosophie en fin d’études secondaires ? Cette question reste ouverte.

En outre, dans le contexte de l’enseignement public, l’instauration des CAP nécessite un temps supplémentaire alloué aux enseignants : convaincre les décideurs politiques d’une rallonge budgétaire initiale, même avec la promesse d’une plus-value en efficacité sur le long terme, sera certainement un immense défi.

Est-ce que les CAP sont la solution aux nouveaux défis de l’éducation ? Roger Prud’homme et Martine Leclerc sont loin de l’affirmer ; leur exposition synthétique des CAP sera néanmoins profitable à tout lecteur intéressé par l’innovation pédagogique. L’approche des CAP a également le mérite de nourrir le débat sur la manière dont les écoles traitent l’évaluation des données : elle incite à passer d’une approche sommative à une évaluation formative centrée sur les apprentissages, et encourage à l’élaboration par les enseignants eux-mêmes de critères et normes de réussite communs et plus objectifs.

DANIEL LOUREIRO